Il y a un siècle - jour pour jour - le 14 décembre 1911 à 15h00 le marin et explorateur polaire norvégien Roald Amundsen et quatre de ses hommes atteignaient le pôle Sud. Dans un précédent article, daté du 7 novembre dernier j’évoquais le Fram, le navire de l’expédition. Celle-ci fut minutieusement préparée par Amundsen, jugez plutôt :
Il est temps maintenant pour Amundsen de s’attaquer au rêve de toute sa vie : être le premier homme à atteindre le pôle Nord. Nansen lui prête le Fram et Amundsen se prépare pour une répétition de la dérive de ce dernier à travers l’océan Arctique, un projet prévu pour durer entre quatre et cinq ans2. À cette époque les expéditions polaires sont en plein essor et dans un esprit de compétition entre les nations et entre les hommes, aussi bien pour le Nord (Peary, Cook, Amundsen), que pour le Sud (Scott, Shackleton). Cette rivalité va faire basculer le destin d’Amundsen : le 1er septembre 1909 Frederick Cook annonce qu’il a atteint le pôle Nord le 21 avril. Six jours plus tard, Peary annonce qu’il a atteint le pôle Nord, lui, le 6 avril. La grande controverse du pôle Nord commence.
Robert Falcon Scott prépare une expédition, l’expédition Terra Nova, d’après les notes et les cartes d’une route ouverte en fin 1908-début 1909 par Ernest Shackleton, son ex-lieutenant de sa précédente expédition Discovery (1901-1904), devenu à son tour chef d’expédition, l’expédition Nimrod, et contraint de faire demi-tour le 9 janvier 1909 à 150 km du pôle sud. Scott donc, hâte ses préparatifs. Amundsen apprenant en peu de temps les nouvelles du Nord comme celles du Sud, de cette année 1909 chargée, prend immédiatement la décision de changer ses plans et de mettre cap au Grand Sud pour tourner la page de la conquête du pôle sud5. Il tient cette nouvelle rigoureusement secrète y compris vis-à-vis de son équipage (seuls son frère et son second seront au courant du changement de destination)5.
Le 3 juin 1910, il appareille officiellement de Christiania - aujourd’hui Oslo5,6. Une fois à Madère, Amundsen informe son équipage du changement de destination et envoie un télégramme à Scott« BEG TO INFORM YOU FRAM PROCEEDING ANTARCTIC–AMUNDSEN »5 (« Prends liberté vous informer Fram fait route vers l’Antarctique »). Tous les membres de l’équipage décident de rester avec leur capitaine.
Le 14 janvier 1911, il installe son camp de base, qu’il nomme Framheim, dans la baie des Baleines à l’est de la barrière de Ross dans l’Antarctique. Lorsque le Terra Nova, le navire de Scott, pénètre dans la baie des Baleines où l’équipage découvre le Fram, les Britanniques sont frappés par la qualité de l’expédition norvégienne, l’expérience des hommes et surtout par le nombre de chiens (130). C’est sur cette impression forte que Scott établira son camp à 700 km à l’ouest du camp d’Amundsen au Cap Evans.
Utilisant des skis et des chiens d’attelage, Amundsen et son équipage créent des dépôts de ravitaillement aux 80, 81 et 82 degrés Sud en ligne droite vers le pôle1. Après une tentative avortée le 8 septembre 1911, le 19 octobre Amundsen, Olav Bjaaland, Helmer Hanssen, Sverre Hassel et Oscar Wisting prennent le départ. Ils prennent quatre traîneaux et 52 chiens (il prévoyait de tuer quelques chiens au retour pour se nourrir ainsi que ses hommes et les chiens restants). Ouvrant une voie jusqu’alors inconnue, sur le glacier Axel Heiberg ils arrivent sur le plateau polaire le 21 novembre après une ascension de quatre jours. Le 14 décembre à quinze heures ils atteignent le pôle Sud. Scott en est encore distant de 572 km qu’il mettra encore plus de trente-trois jours à parcourir.
Amundsen nomme leur camp du pôle Sud Polheim, « maison au pôle ». Il renomme le plateau Antarctique le « plateau de Haakon VII ». Lui et son équipe laissent une petite tente et une lettre adressée au roi Haakon où il raconte leur exploit au cas où ils périraient au cours de leur retour à Framheim. Ils survivent et y rentrent le 25 janvier 1912 avec 11 chiens d’attelage après avoir parcouru 2 824 km en 94 jours (56 à l’aller, 38 au retour) soit une moyenne de 30 km par jour.
Le succès de l’expédition d’Amundsen tient à une préparation soignée, des équipements de qualité, des vêtements appropriés (en peau animale), des tâches matérielles simples (Amundsen ne fait pas de relevés pendant le voyage au pôle et ne prend que deux photos), une bonne connaissance des chiens d’attelage, et l’usage des skis. En contraste avec l’expédition de Scott, celle d’Amundsen est sans surprise et bien planifiée.